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I’m Not In Love, 10cc

Pour écrire ce qui suit, j’ai commencé par lire une critique de François Gorin (Télérama) qui semble froncer le nez à propos de “I’m Not In Love”, ne sachant pas très bien s’il convient de l’aimer ou de la détester, tant cette affaire de “slow de l’été 75” charrie des relents nauséabonds. Cher François, ne barguignons pas, il arrive ─ pardon, il arrivait ─ que les slows de l’été soient des chefs-d’œuvre*et “I’m Not In Love” en est un. On a, évidemment, le droit de ne pas être d’accord, mais rappelez-vous que je suis ici pour donner mon opinion.

“I’m Not In Love”, écrit par Eric Stewart et Graham Gouldman n’était pas fait, au départ, pour être édité en “single”**, car il s’agissait d’une chanson de plus de 6 minutes figurant sur le troisième album de 10cc***, The Original Soundtrack.

Le quatuor travaillant dans leur propre Strawberry Studio, a pu, pour ce titre en particulier, réaliser une sorte de prouesse technique et artistique. Je rappelle qu’à l’époque, ils travaillaient avec une console 16-pistes analogique, et Eric Stewart, voix soliste d”I’m Not In Love” décida d’enregistrer ses trois compères (Gouldman, Godley et Creme) chantant chacun «ahhh» 16 fois, pour chacune des 13 notes de la gamme chromatique, créant ainsi un chœur de 48 voix pour chaque note. Cela lui prit 3 semaines pour réaliser ces 624 enregistrements****. Lol Creme suggéra de fabriquer des boucles de bandes magnétiques, lesquelles permettraient de faire durer ces voix pendant tout le temps voulu. Eric fabriqua donc des boucles mesurant plus de 3,5 mètres, en bricolant un système de poulies fixées sur des pieds de micro.

La console fut utilisée comme un instrument de musique, et les quatre hommes se chargèrent de pousser ou tirer les contrôles sur la console, chaque boucle correspondant à une tranche de celle-ci.

Pour le reste on utilisa assez peu d’instruments ; Stewart jouait d’un piano électrique Fender Rhodes, le son de grosse caisse était joué au synthé Moog par Godley, Gouldman s’occupait des guitares, sur sa Gibson 335.

Godley insista pour ajouter certains éléments qui manquaient. C’est ainsi que la secrétaire du studio, Kathy Redfern fut recrutée pour murmurer dans le micro le célèbre « Be quiet, big boys don’t cry » qui préluda à un solo de Gouldman sur sa Rickenbacker basse. Et Kathy partit acheter une petite boîte à musique pour bébés, qu’on entend à la fin de la chanson.

“I’m Not In Love” déclenche toujours chez moi le même type de sentiments que ce que j’éprouvais en 1975, cette impression de se lover dans une bulle protectrice, avec ces voix chaudes et enveloppantes, exquis préalable à toutes les possibilités régressives, ce qu’ont expérimenté les milliers de couples qui se sont formés, cet été-là, grâce à l’écrin sonore fabriqué par 10cc.

Cela dit, et puisque j’ai cité, en note, “A Whiter Shade Of Pale”, tube de l’été 1967, on peut dire que, de la même façon que chez Procol Harum, 10cc a fini par imploser à cause de “I’m Not In Love”, de l’impact mondial de cette chanson qui a étouffé tout le reste de leur œuvre dont il faut retenir les quatre indispensables premiers albums.***

*”Bridge Over Troubled Water”, “A Whiter Shade Of Pale”…

**Dans une version de 4 minutes que je boycotte systématiquement.

***Voir ma chronique de “Waterfall”.

****Je remercie Richard Buskin chez qui j’ai emprunté la plupart des détails techniques concernant “I’m Not In Love”.

OldClaude

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  • "I'm not in love" est un absolu chef-d'œuvre, à ranger au côté de "Good vibrations", une prouesse technique inimitable puisque l'aléatoire y tient une place importante dans la mesure où à cette époque, on ne pouvait pas programmer d'ouvertures ou fermetures de tirettes de consoles et donc ce sont les mains des musiciens, avec leurs imprécisions, qui font exister ce chœur "cluster". La chanson au départ était je crois un genre de bossa-nova qui a été ralentie et pervertie par le duo Godley-Creme, d'une folle inventivité face au binôme Goldman-Stewart plus plan-plan. Cette créativité se retrouve tout au long de l'album "Sheet music", qui précède "The original soundtrack" et est une coudée au-dessus, pour moi.
    Le départ je le rappelle, de Godley-Creme, fait suite à leur invention du Gizmo, sorte de bidouille dotée de roues dentées en plastique mou qui se fixait sur le chevalet d'une guitare et dont le frottement sur les cordes produisait un son de section de cordes. Persuadés qu'ils tenaient là la clé de leur réussite future, le duo se consacra à enregistrer un triple album "Consequences",l'un des plus chers jamais produits, assez indigeste mais qui renferme quelques pépites. Ce fut un bide retentissant mais ils avaient devenir les réalisateurs de clips les plus en vue après avoir fait "Relax" de Frankie goes to Hollywood.

    • J’observe, cher Pipin, que nos goûts sont très semblables, et je suis frappé de constater que beaucoup d’amateurs de musiques un peu exigeantes n’ont souvent que mépris pour ces « tubes » qu’on appelait autrefois les « slows de l’été ». Mais il suffit de s’apercevoir que c’est la même exigence qui rassemble toutes ces musiques pour abattre le mur que certains élèvent, bien à tort, entre elles.

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OldClaude

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