J’ai déjà évoqué l’admiration que je porte à Richard Thompson*, dont les talents de chanteur, de guitariste, d’auteur et de compositeur le classent parmi les plus grands.

Et sur ce “Mirror Blue”, produit par Mitchell Froom, il est intouchable, en particulier grâce à cette merveille qui s’appelle “Beeswing”, et qu’il a eu l’intelligence d’écrire en un seul mot.

Son picking de guitare (sans oublier sa partie de mandoline) est accompagné par un violon, une flûte, une cornemuse qui ancrent sa musique dans la tradition écossaise.

Et ce qu’il raconte et chante dans cet écrin musical, par lui-même bouleversant, fait partie des plus beaux textes de chansons que je connaisse.

http://www.lyricsmode.com/lyrics/r/richard_thompson/beeswing.html

Voilà un lien qui vous permettra d’avoir sous les yeux ce superbe texte, à n’en pas douter, autobiographique. J’ai eu, dans un premier temps, l’idée de le traduire à votre intention, mais je me suis dit que la plupart de mes lecteurs ou lectrices maîtrisaient suffisamment la langue anglaise pour y accéder directement.

Richard chante l’histoire du jeune homme qu’il était, en arrivant à Londres, en 1967, pendant le Summer of Love, sur fond de guerre du Vietnam. Il tombe amoureux d’une jeune fille qui, comme lui, travaille dans une blanchisserie. Richard nous décrit cette jeune fille, jamais nommée, mais dont la délicatesse et la finesse lui rappellent l’aile d’une abeille ; il nous relate leurs conversations, et la mise en garde qu’elle lui fait en refusant d’aliéner un tant soit peu sa liberté au nom de l’amour. Richard décrit parfaitement cette vie de jeunes rebelles qu’ils mènent, jusqu’au moment où il lui dit qu’il souhaite s’installer, avoir une maison, des enfants… Mais elle lui répond que, quand bien même il serait le seigneur de la moitié du monde, elle ne lui appartiendrait jamais.

Le temps passe et ils commencent à ne plus être d’accord, d’autant que l’alcool s’en mêle. Elle s’enfuit ; il apprend qu’elle vit dans la rue avec des chiens, une bouteille de White Horse dans sa poche, puis qu’elle s’est mariée avec un homme qui vit dans une roulotte. Et la fin, sublime :

 

Et ils disent que sa fleur s’est fanée à présent

Le froid coupant et l’alcool mauvais

Mais c’est peut-être juste le prix à payer

Pour les chaînes que tu refuses

 

Elle était quelque chose de rare

Fine comme une aile d’abeille

Et elle me manque plus que n’importe quels mots pourraient le dire

Si je pouvais juste goûter

À toute sa sauvagerie, maintenant

Si je pouvais juste la tenir dans mes bras, aujourd’hui

Alors je ne la voudrais pas d’une autre façon.

 

Certains disent qu’en écrivant ce texte, Richard Thompson a pensé à des chanteuses comme Anne Briggs ou Vashti Bunyan. Admettons. Mais, quoi qu’il en soit, “Beeswing” fait partie des rares chansons qui m’accompagnent constamment, et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement pour vous, en face d’une telle perfection.

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*voir ma chronique de “1952 Vincent Black Lightning“.