J’avais passé une excellente soirée, ce 26 novembre 1968, au Royal Albert Hall de Londres. Après une première partie qui avait vue se succéder les peu connus Yes, puis Taste, menés par le guitariste irlandais Rory Gallagher, j’assistais au concert d’adieu de Cream, groupe qui avait eu une importance capitale, et pas seulement pour moi. Wheels Of Fire était paru cette année-là et ressemblait à un disque testamentaire, avec de longues improvisations qu’on aurait du mal à écouter aujourd’hui. Rien à voir avec l’impact qu’avaient eus Fresh Cream (1966) et Disraeli Gears (1967).

Cette fin de règne fut donc digne et intéressante, mais ils ne jouèrent pas “Badge”, puisque ce titre n’est autre que l’un des 3 morceaux spécialement enregistrés pour l’album Goodbye de 1969, à un moment où Cream n’existait plus.*

“Badge” résulte de la collaboration entre Eric Clapton et George Harrison, deux musiciens qui avaient partagé pas mal de choses, je ne m’étendrai pas sur le sujet. Quelques mois plus tôt, “While My Guitar Gently Weeps”, remarquable composition de George Harrison sur l’album dit “double-blanc” des Beatles, avait bénéficié d’une très belle intervention d’Eric Clapton. George renvoyait donc l’ascenseur en aidant Eric à composer “sa” chanson de Goodbye. On raconte que George avait une écriture tellement illisible qu’au lieu de lire “bridge”, Eric a déchiffré “badge”, et, comme les paroles de la chanson ne veulent rien dire, ce titre, qui ne veut rien dire non plus, a fait l’affaire.

Il s’agit de l’une des rares chansons de Cream chantées par Clapton. On y retrouve, bien sûr, l’indomptable Ginger Baker à la batterie, le regretté Jack Bruce à la basse et à la seconde voix, et le producteur habituel de Cream, Felix Pappalardi, au piano et au Mellotron. Quant à l’Angelo Misterioso, qui tient la guitare rythmique, que ceux qui n’ont pas deviné qu’il s’agit de George Harrison m’écrivent, je leur donnerai des cours de rattrapage !

Eric Clapton chante plutôt bien, ce que l’on ne savait pas encore, et nous délivre une partie de guitare anthologique, avec ces arpèges passés à travers une cabine Leslie, et ce chorus parfait, sans aucune note superflue. Je n’ai pas toujours été tendre avec ce garçon, mais il était ici à l’apogée de sa créativité…

*À l’intention des spécialistes, ce qui fait le lien entre le concert du RAH et “Badge”, c’est que, dans les deux cas, Eric utilisait sa Gibson ES-335 rouge.

Print Friendly, PDF & Email