Brian Epstein était mort le 27 août, pendant que les Beatles recevaient l’enseignement du Maharishi Mahesh Yogi. Ainsi, le “ciment” qui les maintenait ensemble s’était dissous et seule une nouvelle aventure artistique pouvait leur permettre de se reprendre. Il s’agissait donc d’avancer sur le projet du Magical Mystery Tour.
C’est ainsi que le Mardi 5 septembre, ils se retrouvèrent dans le Studio One d’EMI, pour enregistrer la nouvelle composition de John Lennon, “I Am The Walrus”.
La chanson avait été écrite peu de temps auparavant et amalgamait différentes idées, avec le souci affirmé de n’avoir aucun sens bien établi ; le “walrus” venait de Lewis Carroll, et beaucoup de choses ont été écrites avec l’aide du LSD25. Quant à l'”eggman”, il semble bien qu’il s’agisse de Eric Burdon, pour des raisons que la décence m’interdit de préciser ici. Tout ça n’a pas une grande importance, mais pour ce premier jour de studio post-Epstein, après que John eut chanté sa mélodie sur deux notes et ses paroles bizarres aux trois autres, à Geoff Emerick et à George Martin, ce dernier lui posa une question : « Bon, John, pour être honnête, j’ai une seule question : qu’est-ce que tu penses que je vais pouvoir fiche avec ça ? » Tout le monde rigola, sauf John, et ils se mirent au travail sur la base rythmique, John au piano électrique Wurlitzer (alors que Paul en jouait beaucoup mieux) et George, sur sa Stratocaster. Ringo avait du mal avec ce tempo, et donc Paul, après avoir joué sa partie de basse, se mit en face du batteur avec un tambourin pour caler le rythme. En fait, tout le monde pensait à Brian, et personne n’était concentré. Seize prises furent faites de cette rythmique, la 16ème étant la bonne.
Le lendemain, on ajouta une piste de basse, une de batterie, et John enregistra sa magnifique piste de chant grâce à un micro que Geoff avait volontairement choisi de piètre qualité, afin de créer une “distorsion naturelle”. Un premier mix de la chanson fut réalisé. C’est également ce jour-là que Lennon avança l’idée de mixer la fin de la chanson avec des fragments d’émissions radiodiffusées choisis aléatoirement.
Ils se retrouvèrent le 16 septembre, sauf Emerick, qui avait laissé sa place à Ken Scott, puis le 27 septembre, ce qui avait permis à George Martin d’écrire une partition musicale pour “I Am The Walrus”, laquelle fut enregistrée par seize musiciens (8 violons, 4 violoncelles, une clarinette contrebasse et 3 cuivres). Le soir, ils convoquèrent 16 chanteurs, The Mike Sammes Singers, qui firent très professionnellement les “ho ho ho, hi hi hi, ha ha ha” qu’on leur demandait, ainsi que les “everybody’s got one, everybody’s got one”. Ray Thomas et Mike Pinder des Moody Blues étaient également présents pendant cette mémorable session.
Le lendemain fut le jour d’un délicat travail de synchronisation entre ce qui avait été fait la veille et ce que les Beatles avaient enregistré, ainsi qu’un certain nombre de corrections sur la bande.
C’est le 29 septembre que John, aidé par Ringo, ajouta ses fameuses inclusions radiophoniques ; cependant, comme ces inclusions* ne figurent pas sur la bande originale, un remix de IATW était impossible.
C’est ainsi que le mix final (prise 23) est un mélange de la 1ère partie de la prise 10 avec la 2nde partie de la prise 22. C’est lui qui servira pour le single britannique Hello Goodbye/I Am The Walrus, qui arrivera dans les bacs le Vendredi 24 novembre, ainsi que pour l’édition britannique du double EP Magical Mystery Tour du Vendredi 8 décembre.
Les Américains de Capitol Records eurent droit à une version non éditée de la prise 22, avec une mesure supplémentaire, ce qui fut corrigé ultérieurement.
Sur Anthology 2 (1996) on trouve le résultat du travail des Beatles des 5 et 6 septembre, avant les ajouts orchestraux.
En 2006, Giles Martin créa le véritable premier mix stéréo de IATW, incluant les ajouts radiophoniques.
On laissera la conclusion de cette aventure sonore à George Martin, qui disait : « “I Am The Walrus” est un chaos organisé dont j’étais fier, mais d’autres choses étaient du chaos désorganisé** dont j’étais beaucoup moins fier ! »

*Il s’agit d’une retransmission radio d’une représentation du Roi Lear de W. Shakespeare (acte IV, scène 6), et on entend distinctement, à la fin, Philip Guard, qui joue le rôle d’Edgar, dire : « Sit you down, father; rest you »

** Peut-être pensait-il à “Revolution 9” (The Beatles – 1968).

 

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