Écrire à propos de Gentle Giant n’est pas une mince affaire. Car ce groupe n’est apprécié que par les amateurs de musique progressive (on dit “prog”), lesquels sont cantonnés en Europe, quasi-exclusivement. Et, au sein de cette chapelle prog, on me citera dix groupes plus importants que Gentle Giant (Yes, Genesis, King Crimson, Marillion, Spock’s Beard, Procol Harum, sans oublier Pink Floyd), histoire de me signifier qu’il s’agit de seconds couteaux.

Or, j’affirme tranquillement que Gentle Giant était le groupe le plus abouti du mouvement prog des 70’s, et probablement l’un des créateurs essentiels de toute l’histoire de la musique pop.

Mais d’abord, pour nos jeunes ami(e)s, un petit rappel de ce qu’est la prog : à la suite, sans doute, du “Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band” des Beatles (juin 1967), un certain nombre de groupes, tous anglais, vont assigner à la musique de ce temps l’ambition de se rapprocher des musiques “savantes” ; il s’agissait, tout d’abord de faire éclater la barrière des chansons de 3 minutes, afin de laisser libre cours à de longs développements, calqués sur les “mouvements” des symphonies classiques ; car c’est la musique classique qui est en ligne de mire, avec, par conséquent, la mise à l’écart des influences du blues, qui structuraient, jusque là, la pop musique. Le clavier devient l’instrument-roi, supplantant parfois la guitare comme chez The Nice ; l’accent est mis sur la virtuosité instrumentale, rendue nécessaire par des constructions rythmiques et mélodiques complexes. Les paroles explorent des univers (ésotérisme, science-fiction, spiritualités…) ignorés jusque là.

C’est donc dans ce contexte que s’inscrit Gentle Giant, dont le premier album sort en 1971. Les musiciens sont donc Derek Shulman (chant), son frère Ray Shulman (basse, violon, guitare, chant), Gary Green (guitare), Kerry Minnear (claviers, dont le fameux Mellotron) et Malcolm Mortimore (batterie).

“Prologue” est le premier titre du 3ème album du groupe, “Three Friends”, qui se présente comme un concept-album* ; la chanson illustre bien ce qui anime ces musiciens, car on y retrouve une phrase musicale d’une inédite complexité, qui ouvre et ferme les plus de 6 minutes que dure “Prologue”. Au milieu de la chanson, deux courtes interventions vocales viennent ponctuer cette plage, essentiellement instrumentale, en nous mettant en présence du goût de Gentle Giant pour les dissonances, et surtout pour un style d’écriture contrapunctique** absolument unique dans toute l’histoire de la musique pop.

J’y reviendrai, bien sûr, car Gentle Giant a royalement développé dans des œuvres ultérieures ce qui n’est, ici, qu’ébauché.

L’un des plus grands groupes de toute l’histoire de la pop musique, je vous dis ! 

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*album dont tous les titres sont liés par un thème commun, développant, de ce fait, une histoire.

**on rappelle que le contrepoint, très schématiquement, est l’art de superposer plusieurs mélodies.

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