Évidemment, la première fois que vous posez “Octopus” sur votre platine et que vous arrivez à la plage nommée “Knots”, vous vous grattez le cuir chevelu en signe de perplexité.

“Octopus” est le quatrième album de Gentle Giant*, le premier dans lequel apparaît le batteur John Weathers, le dernier dans lequel joue Phil Shulman (qui intervient dans “Knots” en chantant et en jouant du saxophone ténor). Pourquoi “Octopus” ? Parce que octo (huit) opus (œuvres), le nombre de plages sur l’album.

Vous êtes perplexes, parce que, en 1972, et même aujourd’hui, vous n’avez jamais entendu un morceau de pop musique qui commence par quatre voix différentes qui chantent “a capella” suivant les règles du contrepoint**.

Quelques notes de xylophone, ponctuées par le saxo de Phil et le violon de Ray et hop ! ça recommence, sauf que ce n’est plus la même chose ; et une autre ponctuation xylo-saxo-violon, soulignée par la batterie de John, et un troisième motif vocal, encore légèrement différent, avec le son aigrelet du violon, et le xylophone, à chaque mesure.

Et ça continue à changer, avec l’entrée en scène des claviers de Kerry et de la batterie, qui consent à nous indiquer qu’on évolue quand même dans le domaine de la musique pop, mais avec toujours les voix, derrière, qui continuent à explorer l’inédit. La batterie s’arrête, et commence un petit dialogue piano-xylophone, plutôt atonal, qui achève de nous perdre.

Ah ! Le rock revient avec la guitare de Gary, et cet accord de piano dont le martèlement nous fournit d’indispensables repères. Maintenant, les instruments dialoguent avec les voix, et tout le monde se réunit pour un final qui nous permet également de nous y retrouver.

Mais, qu’est-ce que c’est que ces gens qui oublient qu’une chanson, c’est des couplets et un refrain, et puis, basta !!?

Ces gens, je vais redire leurs noms, car ils sont inoubliables, ce sont les plus grands créateurs de musique de cette décennie. Le fait qu’ils aient eu un succès d’estime en Angleterre (et un peu en Italie) est déjà pour moi une source d’étonnement. Le reste du monde les a ignorés, malgré leur touchant et vain acharnement à conquérir l’Amérique. Saluez, s’il vous plaît, Gary Green, John Weathers, Kerry Minnear, et les frères Shulman, Phil, Ray et Derek.

J’entends des voix qui s’élèvent : « Mais cette musique est compliquée ; on ne peut pas la chantonner sous la douche, on ne peut pas danser. À quoi ça sert, tout ça ?».

D’abord, je voudrais faire un sort à cet adjectif, “compliqué”. La musique de Gentle Giant est aussi simple et simplement mémorisable que la musique des grands compositeurs des siècles passés, pour une raison qui tient uniquement à la qualité et donc à la rigueur du processus de composition. La musique est un Art, mais c’est également une Science, assez proche des Mathématiques, et ce qu’on ne retient pas en Musique, c’est ce qui ne se soumet pas à cette indispensable rigueur, dont J.-S. Bach nous a montré la fécondité.

Gentle Giant a publié une douzaine d’albums pendant la décennie de son existence, dont au moins la moitié doit figurer dans votre discothèque. Je n’ai aucun problème pour connaître par cœur les morceaux les plus marquants de cette discographie, même s’il m’a fallu un certain nombre d’écoutes pour cela. Grâces en soient rendues au travail, à la sensibilité et à l’intelligence de ces musiciens.

Mais il s’agissait bien d’un groupe de rock. Visionnez des extraits de concerts de Gentle Giant. Ils savaient créer l’excitation et la dynamique propres à cette musique. Soyez-en certains : nous n’en aurons jamais terminé avec Gentle Giant.

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*voir ma première chronique consacrée à GG : “Prologue”.

**En musique, le contrepoint rigoureux (souvent appelé contrepoint) est une forme d’écriture musicale qui trouve ses origines avec la polyphonie du Moyen Âge et qui consiste en la superposition organisée de lignes mélodiques distinctes. (Wikipédia)

 

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