Pour leur neuvième album, “Fellow Travelers”, Jonathan Meiburg et ses ami(e)s de Shearwater décidèrent de produire un albums de reprises.

L’album de reprises est souvent le piège ultime dans lequel tombent beaucoup de groupes qui s’adonnent à ce qui apparaît, de prime abord, comme une facilité. Il est, en effet, apparemment plus facile de ne pas avoir à s’atteler à un travail d’écriture, et à occuper un nid construit par d’autres. Malgré tout, les pièges sont nombreux, et beaucoup ont sombré pour n’y avoir pas accordé une attention suffisante.

Le piège le plus fréquent est celui d’une fidélité obséquieuse à l’original, vidant la dite reprise de la subjectivité qui en est l’enjeu. Mais le piège opposé est celui d’une distance trop radicale entre l’original et la reprise, comme si seuls avaient été transmis quelques lambeaux désincarnés d’une partition ; cependant, cette dernière règle connait une exception capitale : celle d’une reprise très éloignée de l’original, mais, qui tout en en respectant les grandes lignes structurales y ajouterait une vérité proprement inouïe.

Un exemple illustrera mon propos : prenons la version originale, orthodoxe de l’hymne national américain, le “Star-Spangled Banner”. Jimi Hendrix l’interprétera, le 18 août 1969, à Woodstock, d’une façon telle qu’il lui ajoutera ce poids de vérité rendu palpable par les évocations soniques des bombes lâchées sur le Vietnam, ou des sirènes hurlantes de la contestation sociale.

Tout ça pour dire que Shearwater évite avec beaucoup d’intelligence tous les pièges du “disque de reprises” : toutes les reprises choisies sont plutôt obscures et l’auditeur s’affranchit ainsi de points de comparaison qui sont autant d’obstacles à un avis dont on aime penser qu’il s’approche d’une certaine objectivité.

D’autre part, les créateurs des chansons reprises sont tous des connaissances, voire des relations amicales de Shearwater dans la mesure où ils étaient ensemble en tournée. C’est ainsi qu’on peut citer les noms de Clinic, Coldplay, Xiu Xiu, Sharon Van Etten, St Vincent, The Baptist Generals, qui sont ─ à l’exception notable de Coldplay ─ peu exposés, médiatiquement parlant.

L’autre idée géniale est d’avoir demandé à certains membres des groupes ci-dessus de participer à l’élaboration des chansons de ce disque, à l’exception, bien sûr, de celle dont ils étaient les interprètes initiaux. Personnellement, je trouve que c’est un sans-faute.

Commencez par écouter “Natural One” par ses créateurs, The Folk Implosion de Lou Barlow. On trouve ce titre sur la bande originale du film “Kids” de Larry Clark. Et puis, ensuite, écoutez la version de Shearwater ; les deux versions ont beaucoup de points communs ; la version de Lou Barlow (1995) reflète bien un certain je-m’en-foutisme, une paresse revendiquée. Shearwater, au contraire donne à tout cela une impulsion et un dynamisme soulignés par la batterie et le son distordu de la basse ; Jenn Wasner de Wye Oak est dans les chœurs ; et surtout, Jonathan Meiburg imprime, grâce à sa voix unique, une urgence bien de ce siècle. L’art de la reprise ne se dévoile pas aussi facilement qu’on pourrait le penser.

Print Friendly, PDF & Email