Des trois guitar-heroes issus des rangs des Yardbirds, Eric Clapton, Jimmy Page et Jeff Beck, c’est incontestablement ce dernier qui a le mieux vieilli. Les raisons sont sans doute multiples, et il serait peut-être intéressant d’essayer de les dégager ; j’en vois au moins une, très importante, sur laquelle je reviendrai dans le courant de cette chronique.

“Suspension” termine ce très bel album de Jeff, “You Had It Coming”, produit par Andy Wright, dans lequel il est entouré de Jennifer Batten à la guitare, Steve Alexander à la batterie, et Randy Hope-Taylor à la basse. La très talentueuse Imogen Heap chante sur deux titres et la programmation est entre les mains de Aiden Love.

Mais “Suspension” est un instrumental, une mélodie exquise et très finement ciselée qui justifie pleinement le titre de Maître de la Stratocaster que Jeff peut revendiquer. J’ai l’impression, en écoutant “Suspension” que Jeff a fait ça tout seul dans le studio, avec Aiden Love, sans les autres musiciens, mais peu importe.

Je commençais en écrivant que Jeff Beck avait mieux vieilli que Jimmy, qui ne joue presque plus, et que Eric, qui ne devrait plus jouer. Ce n’est pas simplement parce qu’il sait s’entourer de musiciens de haut vol, et même, très souvent de musiciennes jeunes et talentueuses (Jennifer Batten, la gracieuse et étincelante Tal Wilkenfeld) ; ce n’est pas non plus parce qu’il a su échapper à la monomanie qui caractérise ses pairs (Clapton, le blues, Page, Led Zeppelin), en œuvrant dans différents champs stylistiques (le rock fusion, l’électronique, le rockabilly, etc) mais c’est surtout, me semble-t-il, parce que depuis très longtemps, Jeff Beck a opéré un travail sur le son, qui le rend unique et inimitable.

N’étant pas moi-même guitariste, j’ai regardé pas mal d’articles spécialisés, et en particulier une interview-fleuve de Steve Prior, le technicien guitare de Jeff, d’où il ressort les choses suivantes :

Jeff fait toujours trois choses en même temps avec sa main droite, ce qui est rendu possible par le fait qu’il n’utilise jamais de médiator. Son pouce et son index s’occupent des cordes de sa guitare, qu’il “slappe” parfois, comme le feraient certains bassistes ; son majeur pousse la tige de vibrato, tandis que l’annulaire la tire, et le petit doigt est sur le bouton de volume qu’il utilise par exemple pour couper l’attaque de ses notes afin d’ imiter un violon.

Il réalise ça sur sa fameuse Fender Custom Shop Jeff Beck Signature Stratocaster blanche de 1993, légèrement modifiée et possédant des micros simple bobinage John Suhr, uniques au monde. Son amplificateur est un Marshall DSL 50. Pour plein d’autres choses extrêmement techniques et extrêmement intéressantes, comme les pédales d’effets, je vous renvoie aux sites spécialisés qui font tout ça bien mieux que moi.

Pourquoi est-ce que je vous ennuie avec ces trucs techniques ? Simplement pour vous dire qu’il est inutile d’essayer de jouer comme Jeff Beck, vous n’y arriverez pas. Tout comme il est inutile d’essayer de jouer comme n’importe quel guitariste célèbre, quel qu’il soit, car, au-delà de toute cette lutherie moderne, mâtinée d’électronique, ce que vous entendez, ce sont les doigts du guitariste, lesquels sont un prolongement de son cerveau. Et il n’y a pas deux cerveaux identiques. C’est pour cela que Jeff Beck est grand.

 

 

Print Friendly, PDF & Email