L’album Born To Run qui renferme cette chanson, cruciale pour la carrière de Bruce Springsteen, est le troisième de l’artiste. Les deux premiers ont connu un succès critique et, surtout commercial, mitigé, et Bruce sait bien que son avenir musical se joue avec cet album.

Beaucoup d’argent et de temps ─ l’enregistrement de cette seule chanson, “Born To Run” va prendre 6 mois ! ─ vont être consacrés à ces huit chansons. Bruce a tout composé au piano, ce qui est inhabituel chez lui, et il souhaite une production qui lui permette enfin de toucher ce grand public, dont il rêve, quelque chose qui ressemblerait au “wall of sound” de Phil Spector. Et, de toutes façons, il ne sera, pendant de nombreuses années, pas content du résultat, malgré les efforts de son nouveau coproducteur, Jon Landau. Cependant, tout ce travail sera récompensé, et Born To Run obtiendra un succès critique et public de tout premier ordre, ce qui se traduira par des ventes colossales. Même la photo de pochette, où l’on voit Bruce, sa Fender en bandoulière, appuyé contre son saxophoniste, Clarence Clemons, deviendra iconique dans l’histoire de la musique rock.

Et “Born To Run” est, en effet, une chanson énorme, avec laquelle se forge la mythologie du Boss, Bruce Springsteen, porte-parole des “cols bleus “de l’Amérique, mal payés, mal considérés. Il élabore ainsi une musique proprement grandiose, faite pour être jouée devant des foules qui seront d’ailleurs toujours de plus en plus nombreuses et ferventes. Ces foules le suivront parce que Bruce ne triche pas, il parle de ce qu’il connaît, les Italiens et les Irlandais du New Jersey, la pauvreté, la famille, et le public lui saura gré de cette honnêteté et de son engagement social ou politique, du bon côté.

C’est le sens de “Born To Run”, chanson “bigger than life”, impressionnante, épique, qui cherche et trouve tout de suite cette dimension mythologique à laquelle Bruce lui-même aspire. Magnifique composition, avec cet inoubliable riff de guitare, le glockenspiel, le lyrisme exacerbé du saxophone de Clarence, et bien sûr, la voix de Bruce, dont on sait tout de suite qu’il est là pour tout vous donner. Le E-Street Band se constituera d’ailleurs pendant cet enregistrement, et l’on connaît l’importance de ce gang de superbes musiciens dont la fidélité est l’une des clés de la longévité du Boss.

Des esprits chagrins* ont pu dire qu’ils trouvaient que cette chanson était un peu “too much”, un peu trop remplie de couches d’instruments, d’effets, un peu trop pièce montée, au sens pâtissier du terme. Peut-être, mais ces quelques réserves ─ que Bruce a corrigées dans l’album suivant, l’extraordinaire Darkness On The Edge Of Town ─ ne suffisent pas à ternir l’éclat de “Born To Run” qui mérite bien sa place au firmament des chansons les plus emblématiques du siècle dernier.

*Peut-être en suis-je un ?

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