Vous pensiez que Sufjan Stevens n’écrivait que des ballades ? Seulement aidé par les trompettistes Tom Eaton et Stephen Halker, et par les voix de Megan Smith et Monique Aiuto, il écrit cette symphonie d’amour-haine à sa ville natale. Comme vous le savez déjà, il joue de tous les instruments ; amusez-vous à les reconnaître, il y en a beaucoup.

Très modestement, ça commence avec des cloches qui jouent un motif simple et répété. Puis arrivent très vite les percussions, le piano, les cuivres, la batterie, et finalement un ensemble de hautbois, tout ça en moins d’une demi-minute. On sent que Sufjan a écouté les minimalistes américains comme Steve Reich, mais il en donne une adaptation maximaliste en saturant l’espace sonore ; le bain musical dans lequel il nous plonge est d’une densité réjouissante, propre à nous porter, et non à nous engloutir ; idéal pour accueillir sa voix et celles de ses choristes. Les clochettes reviennent pour annoncer une variation vocale qui empêche le morceau de sombrer dans la pure et simple répétition, avant un chorus en bonne et due forme. La mélodie vocale connaît encore un nouveau changement, avant une fin instrumentale où tout se dilue dans une nappe tranquille, comme apaisée, comme si tous les reproches que Sufjan avait fait à sa ville appartenaient au passé, et qu’il ne restait que le pardon et la réconciliation.

Que cet homme de 28 ans conçoive, dans son troisième album, une pièce musicale aussi riche, aussi complexe, aussi parfaitement construite, jouée et interprétée, avec un matériel d’enregistrement d’amateur*, montre bien la profondeur et l’intelligence de Sufjan Stevens, génie de notre temps.

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*2 micros Shure SM57, 1 micro AKG C1000, 1 studio intégré numérique 16-pistes Roland VS880EX, 1 logiciel ProTools.

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