“Easter Theatre” est donc la troisième chanson d’Apple venus vol. 1, et peut-être que le meilleur moyen de l’aborder c’est d’écouter Andy Partridge lui-même, nous faire découvrir comment il a composé ça. Par chance, sur le “single” Easter Theatre, on trouve une piste, “How Easter Theatre Came To Be”* qui est un monologue au cours duquel Andy, pendant 13 mn 51 s nous l’explique. Très succinctement, l’idée initiale date de 1986, pendant l’enregistrement de Skylarking, à San Francisco ; il fait écouter une suite d’accords à Colin. Puis en 1994, sur la guitare d’étude de sa fille, fabriquée en Roumanie (!), il trouve une autre suite d’accords qui complètent ceux de 1986. Il ne sait d’ailleurs même pas comment se nomment ces accords, rarement utilisés dans le domaine de la pop music. Leur côté “tellurique” le dirige vers le printemps, les œufs, Pâques, la renaissance de la terre, toute une imagerie assez païenne, cependant, qui m’évoque, personnellement, la toile de Botticelli ; “Easter Theatre” est, en effet une chanson qui met en musique l’allégorie de Pâques, imaginée comme une femme. Quant à l’instrumentation, Andy pense, bien sûr, à des percussions, mais surtout à des vents comme la clarinette basse ou le basson, pour marquer ce réveil de la terre et des fleurs**. Tout est en place pour une maquette que l’on trouvera également sur le “single” que j’ai évoqué (“Home Demo”) ou sur l’album Homespun, et dans laquelle l’apport technique de l’E-mu Proteus a joué un rôle capital.

Mais il vaut mieux passer dès maintenant à l’écoute de la version définitive d'”Easter Theatre”. Parce que, autant vous le dire tout de suite, on tient là ce qu’un nombre assez conséquent d’amateurs de musique pop, dont moi-même, considèrent comme étant l’une des plus grandes chansons pop jamais enregistrées, quelque chose qui vient se ranger à côté des plus grands airs des Beatles et des Beach Boys***.

On retrouve ces cordes et ces vents (flûte, basson, hautbois, clarinettes, cors) enregistrés le 16 avril 1998 à Abbey Road, sa voix, haut perchée, secondée par celle de Colin****, lequel délivre une ligne de basse parfaite, la batterie de Prairie Prince, sourde et “tellurique”, comme Andy le souhaitait, sans oublier un chorus de guitare électrique par ce dernier, à la manière de Brian May, et une partie de trompette due à un arrangeur connu, Steve Sidwell.

Mais tout cela ne serait rien si ce superbe arrangement n’était au service d’une mélodie inoubliable dont Partridge admet volontiers (et nous avec) que c’est ce qu’il a écrit de plus beau. Cette mélodie tournoyante et ascendante, l’instrumentation “stravinskienne”, la qualité des contributions instrumentales et vocales d’Andy, de Colin et de Prairie, la poésie du texte de Partridge, font de ce joyau pop quelque chose qui brille d’un éclat inégalé au sommet des productions musicales du demi-siècle écoulé.

En fin de compte, il faut peut-être se dire que, sans les problèmes de santé d’Andy Partridge qui l’on conduit à interrompre si brutalement les tournées***** ─ un peu comme les Beatles qui interrompent les tournées et qui, libérés de cette pression, élaborent Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band ─ on n’aurait sans doute jamais eu ce chef-d’œuvre qu’est Apple Venus vol 1.

Sachez enfin que ce miracle musical, cette œuvre d’art, au sens le plus élevé du terme, n’a pas été retenue par les Américains du magazine Rolling Stone pour figurer dans leur fameuse liste des 500 meilleures chansons. Sans commentaires.

*que vous pouvez dénicher sur YouTube.

**Andy avait peut-être quelques souvenirs du “Sacre du Printemps” (Stravinsky-1913) et j’espère ne choquer personne en avançant qu’il existe une proximité entre ces deux pièces musicales.

***Ce n’est pas moi, c’est Andy lui-même qui indique les standards auxquels il souhaite se mesurer.

****Je ne suis pas certain que les contributions de Dave Gregory (mellotron ou guitare acoustique) aient été conservées…

*****voir ma chronique de “Tissue Tigers”.

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