Ça faisait longtemps ! OldClaude nous ramène une fois de plus son petit mozart américain. Mais oui, jeunes gens ! Dans deux siècles, au cas bien improbable où il resterait des êtres vivants sur cette planète, ils écouteront encore Sufjan Stevens. C’est la réflexion que je me faisais, en regardant le film Carrie & Lowell Live, retransmission du concert de la tournée, au North Charleston Performing Arts Center, le 9 novembre 2015*, préalablement à l’écriture de la chronique qui suit.

Et pourtant quand on ne fait qu’écouter le peu de musique dont est faite cette chanson de Carrie & Lowell, l’enregistrement en studio, l’ennui pourrait gagner certains : une note étouffée, toujours la même, sur un clavier, un peu de piano, une ligne mélodique simpliste qui se répète inlassablement… Mais attendez un peu ; l’important se passe dans les trois refrains (qui commencent tous par « So can we…») avec cette minuscule mais essentielle variation mélodique, qui permet à la chanson de se développer, de grandir, de grimper jusqu’à Jésus, auquel Sufjan s’adresse dans ce troisième refrain.

Le premier refrain permet ainsi au piano d’apporter sa respiration dans le couplet qui suit. Le deuxième refrain annonce les voix qui entourent Sufjan d’un chœur réparateur (Voici ma traduction de ce deuxième refrain : « Pouvons-nous donc être amis, gentiment, Avant que le mystère finisse ? Je t’aime plus que ce que le monde peut contenir Dans sa tête solitaire et délabrée Il ne reste plus qu’une ombre de moi ; d’un certain point de vue je suis mort »).

Quand on se souvient des symphonies de chambre de Michigan, ou des merveilleuses démesures électroniques de The Age Of Adz, on ne peut qu’être surpris ─ les sourds, comme je les appelle, emploieraient le mot déçu ─ par la retenue mélodique, harmonique, rythmique de “John, My Beloved”. Mais comment signifier autrement, avec une telle force, le deuil de Carrie, sa perte, son absence ? Sufjan n’écrit pas des requiems ; comme il le dit dans une interview, tout ça n’a pas été une partie de plaisir ; ce n’est pas une œuvre d’art, c’est sa vie, dans ce qu’elle a connu de plus sombre et tragique. Et la seule crainte qui me saisit, à chaque fois que je revisite “John My Beloved” ainsi que les dix autres monuments funéraires que Sufjan construit à sa mère, dans ce disque, tient en une simple question : « Comment va-t-il faire pour surpasser ça, ou simplement pour continuer à produire de la musique ? » Je crois qu’il faut faire confiance au génie de Sufjan Stevens, et même s’il ne surpasse jamais Carrie & Lowell, il surpasse tous ses contemporains, et c’est déjà amplement suffisant.

*Vous cherchez sur votre moteur de recherche “Carrie & Lowell Live on Vimeo”. Le concert est intégralement et gratuitement retransmis. Je reviendrai, dans une chronique ultérieure, sur cet album en public.

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