J’ai déjà écrit une chronique sur Badfinger*, et dès la première ligne, je parlais de tragédie, car il n’existe pas d’autre mot pour qualifier le destin de ce groupe.

Et pourtant, en 1971, l’avenir était radieux pour Badfinger. “Come And Get It” et “No Matter What” avaient été des succès (mineurs) aux USA, et leurs concerts pour promouvoir l’album “No Dice”, avec le nouveau guitariste, Joey Molland, leur avaient permis de sillonner le pays**.

Au début de l’année, le projet était d’enregistrer un successeur à “No Dice”, sous la direction de Geoff Emerick, à Londres.

C’est le moment que choisit leur manager américain pour organiser une nouvelle tournée de 10 semaines aux USA, qui devait commencer le 4 mars ! Il ne restait que très peu de temps pour enregistrer l’album, ce qui fut pourtant fait, mais sans que le mixage soit réalisé. Les bandes restèrent donc sur une étagère, chez Apple***, alors même que le groupe était très satisfait du résultat.

La tournée se terminant le 16 mai, Badfinger arriva à Londres pour s’entendre dire que les bandes avaient été rejetées par Apple et qu’un nouvel album pouvait attendre !

“Name Of The Game”, écrit par Pete Ham, ouvrait la deuxième face de cet album, jamais publié, et qui n’avait même pas de nom.

Cependant, au cours de leur tournée américaine, Badfinger avaient contacté, à New York, Al Kooper, qui avait proposé un remix de “Name Of The Game”, en ajoutant piano et orgue. Cette chanson, couplée, en face B, avec “Suitcase”, aurait dû être leur prochain single.

De retour à Londres, ils découvrirent que ce projet avait également été rejeté. Trois mois de travail intensif en studio n’avaient servi à rien.

C’est alors que Badfinger apprit que George Harrison, en personne, avait émis le désir de les produire, ce dont ils se montrèrent flattés et ravis, d’autant qu’ils se doutaient que le Beatle leur aurait concocté un son un peu plus sophistiqué que celui d’Emerick.

Tout ce beau monde se retrouva donc, en juin,  dans le petit studio n° 3 d’Abbey Road, là même où George avait enregistré une partie d'”All Things Must Pass”.

Badfinger, qui avait également écrit de nouvelles chansons, réenregistra tout, et rien de leur travail du 1er trimestre, ne fut utilisé.

Avec Harrison à la console, quatre chansons furent enregistrées : “Name Of The Game”, “Suitcase”, et deux nouvelles, “I’d Die Babe” et “Day After Day”*****.

Tout allait pour le mieux, mais, à la mi-juillet, George fut appelé par Ravi Shankar pour préparer le Concert pour le Bangla Desh (auquel, d’ailleurs, Badfinger participa).

L’enregistrement de l’album, qui allait s’appeler “Straight Up”, fut donc interrompu, et Apple décida qu’il ne pouvait pas être repris avant septembre !

Et Harrison, trop occupé par le Bangla Desh, leur demanda de trouver un nouveau producteur. Ce fut Todd Rundgren, dont Badfinger n’avait jamais entendu parler. Todd prit les choses en mains, avec son efficacité coutumière, et tout fut terminé en deux semaines. Il choisit même de retravailler et remixer les bandes de l’album avorté, ainsi que les chansons enregistrées par Harrison.

“Straight Up” sortit en février 1972 (décembre 1971 aux USA), et fut un succès.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je passe tant de temps à évoquer cette partie de l’histoire de Badfinger, qui, après tout, n’est pas si dramatique que cela.

Tout d’abord, cher(e)s ami(e)s, je reviendrai ultérieurement sur la suite de l’histoire de Badfinger, mais surtout, se met en place devant nous la phase emblématique de la prise de pouvoir de l’industrie, des puissants, des célèbres, sur des jeunes hommes qui pensaient naïvement que leur talent et leur créativité suffiraient à les sauver.

Un mot sur cette splendeur qu’est “Name Of The Game” : vous trouvez la version “originale” de cette chanson, celle dirigée par Emerick, en “bonus track” du cd de 1993, “Straight Up” ; version avec guitares acoustiques et orchestre, elle est plus courte (4 minutes 24 s.) et d’un tempo plus rapide que la version d’Harrison, revue par Rundgren. La version remixée par Al Kooper n’a jamais été publiée.********

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*voir “Without You”.

**en bus, pas en avion ! Il ne s’agissait pas des Beatles !

***on se souvient que Badfinger est le premier groupe à avoir signé avec la maison de disques créée par les Beatles.

****La même chose arrivera, l’année d’après à leur single, “Baby Blue”, dont la sortie aux USA sera annulée !

*****sur lequel George Harrison et Pete Ham jouent de la slide guitar, et Leon Russell, du piano.

******ce qui précède doit beaucoup à Andy Davis, avec mes remerciements.

*******En fait, en cherchant bien, on la trouve sur YouTube…

 

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