“Paranoid Android” est LE single tiré du troisième album studio de Radiohead, OK Computer, pour lequel il faut tout de suite saluer le travail du producteur, Nigel Godrich. À cette époque, Radiohead était certes un groupe connu et reconnu, mais son audience ne dépassait pas les cercles de ce que l’on appelait le “rock indépendant”. OK Computer et “Paranoid Android” vont faire mentir tout ce que l’on sait des règles qui président à un succès mondial dans le domaine de la musique pop, en devenant les socles de cette reconnaissance mondiale. Pour le dire rapidement, on peut aimer ou ne pas aimer Radiohead, mais il faut reconnaître que, dès l’origine, ce groupe a superbement ignoré les diktats de l’Industrie, et a toujours fait uniquement ce qu’il a voulu, jusqu’au point, ces dernières années, de réussir à se couper d’une large frange de son public, mais ceci est une autre histoire.

Pour en revenir à “Paranoid Android”, connaissez-vous beaucoup de chansons d’une durée de 6 mn 23 s, amalgamant plusieurs thèmes différents à la façon d’un patchwork, remplies de guitares distordues et dissonantes, et qui arrivent à grimper jusqu’à la 3ème place des fameuses “charts” anglaises ? Personnellement, je ne vois pas.

Chacun peut se rendre compte qu’il y a quatre parties dans “Paranoid Android” : la première partie, en tempo moyen, est dominée par la guitare acoustique et la voix larmoyante de Thom, secondées par la guitare électrique de Jonny Greenwood ; la deuxième partie, marquée par un changement du rythme et de la tonalité laisse toute la place à la guitare distordue et dissonante de Jonny ; la troisième partie, écrite par ce dernier, voit le tempo se ralentir brutalement, tandis que la quatrième partie est une reprise instrumentale, en forme de coda, de la deuxième partie.

Si vous n’avez jamais entendu “Paranoid Android” avant aujourd’hui*, il y a de grandes chances que vous ne trouviez pas cette musique éminemment “sympathique”, mais il faut sans doute se plonger dans les paroles, ou regarder le clip pour s’apercevoir que cette chanson est sauvée par l’humour qui s’en dégage ─ ce qui ne sera, hélas, pas le cas d’un certain nombre d’autres œuvres dans la carrière ultérieure de Radiohead ─ et aussi par le lyrisme (que certains pourraient juger exacerbé) de la voix de Thom Yorke. Quant à la ligne de basse de Colin Greenwood, je la trouve extrêmement réussie.

Une fois de plus, je suis coincé par mon choix d’aborder la musique par le biais de la chanson, car s’il y a bien un album à envisager comme un bloc, c’est OK Computer ; ou, en d’autres termes, “Paranoid Android” ne prend son sens que dans son interrelation avec chacune des autres chansons de l’album ─ et on pourrait dire la même chose de chacune des chansons qui le composent ─ comme s’il s’agissait d’un réseau de chansons. Et, contrairement à Pablo Honey et à The Bends qui étaient plutôt ouverts sur la psyché de Thom Yorke**, OK Computer est largement ouvert sur le monde, et pas dans ce qu’il a de plus joli !

Enfin, comment ne pas reconnaître que cet album a été, de par son influence, l’un des plus importants de la fin du siècle dernier. Il a, tout simplement, donné le coup de grâce au mouvement “brit-pop” représenté par Supergrass, Suede, et surtout, Oasis, et a ouvert la voie pour d’autres groupes ; me viennent à l’esprit les noms de Coldplay, Snow Patrol, Muse, ou encore Arcade Fire.

Pour conclure, s’il y a un groupe que j’aurais envie de rapprocher du Radiohead qui est né avec ce OK Computer, c’est, curieusement, le Velvet Underground. Ce sont, en effet pour moi, des groupes de “rupture”, des groupes qui ont initié un langage musical nouveau, et qui sont encore plus importants par leur influence que par leur audience réelle***.

*Ah bon, ça existe ?

**Voir mes chroniques “Thinking About You”, “Street Spirit (Fade Out)” et “Fake Plastic Tree”.

***Ce dernier point, cependant, les sépare radicalement !

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