Ramon Pipin fait tout à l’envers. La plupart des grands musiciens qui œuvrent dans le domaine de la musique populaire sont géniaux à 20 ans, psittacistes à 40 et pitoyables à 60.

Eh bien, Ramon, non content de produire deux albums d’excellente tenue en l’espace de quelques dizaines de mois*, et sans oublier qu’il avait été silencieux depuis des lustres, nous offre tout simplement avec “Qu’Est Ce Que C’est Beau”**, la meilleure chanson qu’il ait jamais écrite, et probablement une de celles qui seraient à épingler au firmament de la Chanson Française.

Ramon Pipin héritier de Georg Friedrich Haendel, qui l’eût cru ? Mais c’est, en effet, une inspiration venue du baroque qui illumine l’extraordinaire cadence dont le Quatuor Psoriasis nous gratifie. Il convient d’abord d’en citer les exécutants : Anne Gravoin au premier violon, David Braccini au second violon, Béatrice Muthelet à l’alto et Cyril Lacrouts au violoncelle. Ces cordes magiques vont être la colonne vertébrale de la chanson, loin des arrangements de violons sirupeux (et “romantiques”) de la musique moderne, qui ne les admet, le plus souvent, qu’en “accompagnement”. Il faut en remercier Vince Turquoiz, responsable de la Direction Musicale*** et des orchestrations, véritable bras droit de Ramon Pipin, dans cette affaire.

Le piano de Michel Amsellem se range vite derrière leur rythme impérieux, secondé par la basse de Marc Périer. Dès le 2ème couplet, la rigoureuse batterie de Franck Amand nous rappelle qu’on est bien dans le champ du rock n’roll.

Puis arrive le mariage royal de ces cordes baroques et de la guitare distordue de Brice Delage, et c’est un mariage parfaitement bien assorti, n’en déplaise aux puristes.

Le 4ème et dernier couplet est introduit par un pont vocal et instrumental, avec une slide guitar qu’on doit à Stéphane Daireaux, et la fin nous surprend alors qu’on aurait bien aimé que ça aille au-delà des 3 petites minutes et demie qui sont, ici, passées bien trop vite.

Par dessus cette splendide assise instrumentale, il y a les voix, et d’abord la voix de Pipin, sans doute pas le plus grand chanteur du monde, mais, je suis prêt à le parier, honnête, sans tricherie, sans production flatteuse et mensongère, sa vraie voix. Les choristes jouent un rôle essentiel, et, outre lui-même, on y entend les voix de Clarabelle, du regretté Marco Beacco, et de Pierre Sangra.

Tout ébloui, j’ai à peine accordé de l’attention aux paroles de cette chanson, et elles méritent pourtant qu’on s’y arrête, en se demandant de quelles bonnes grosses vannes il va nous régaler aujourd’hui.

Perdu. Ramon Pipin n’est plus dans Ramon Pipin, car QQCB est une chanson d’émerveillement, la chanson d’un homme qui regarde le monde les yeux grands ouverts, et qui voit de l’intérêt, et parfois de la beauté dans des choses que nous ne remarquons même plus. Il rend un discret hommage au tableau de Courbet que posséda Lacan, il associe, dans un vertigineux raccourci social, une concierge et un cardinal. Ancré dans la culture du siècle précédent, il évoque Chaplin et Queen plus facilement que les héros du jour, et, de parolier, se transforme facilement en scénariste avec ces images fortes de corps inerte et de foules renversant un dictateur. Le dernier couplet semble transporter des images plus personnelles, opposant une vie qui arrive, et une autre qui s’éteint. Sans doute mal à l’aise de s’être fait prendre au piège de l’émotion, Ramon évacue tout ce qui précède en l’affublant de l’épithète « tissu de conneries ». Mais, trop tard, Ramon, on sait bien que malgré ton « tchao », tu ne rendras les armes que quand tu ne pourras pas faire autrement. Et c’est tant mieux.

*Comment Éclairer Votre Intérieur (2016) et Qu’est-Ce Que C’est Beau (2019)

**chanson-titre d’un indispensable album, dont je laisse à d’autres le soin de vanter les mérites.

***Ce qu’ailleurs on nomme co-producteur, en compagnie de Jean-Marc “Maz” Pinaud

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