Ça y est ! Seul un processus de dégénérescence cérébrale peut expliquer qu’Old Claude nous date de 2003 une chanson des Beatles, alors que chacun sait que leur séparation date d’avril 1970…

Redevenons sérieux. Le seul mot de “révisionnisme” déclenche chez moi un malaise, et pourtant je ne vois pas d’autre terme pour caractériser l’entreprise de Paul McCartney, qui, cette année-là, décida d’éditer une version de “Let It Be”, leur dernier album*, intitulée “Let It Be…Naked”.

Rien n’allait plus chez les Beatles en ce début d’année 1969 ; il y avait, d’un côté, Paul, désireux de continuer, de l’autre, John, soutenu par George, qui voulait tout envoyer valser, et Ringo qui comptait les points. Pour se remotiver, ils mirent sur pied le “Get Back project” : il s’agissait d’enregistrer des chansons brutes, très peu produites, sans utiliser les facilités du multi-pistes (overdubbing). C’était une idée lennonienne typique, ça partait bien, ça s’est fini en catastrophe, avec 30 bobines enregistrées et mixées par Glyn Johns, laissées sur les étagères. Le travail dura du 2 au 30 janvier 1969 et se termina par le désormais fameux concert sur le toit des bureaux Apple à Saville Row.

C’est Allen Klein (1931-2009), leur nouveau manager, en accord avec John et George, qui fit appel au producteur américain Phil Spector, pour reprendre ces bandes en jachère.  Et que voulez-vous que Phil fit ? Du Spector évidemment, avec plein de cordes, de chœurs féminins, et d’effets dans tous les sens. Paul ne fut même pas consulté et en fût très fâché !

Et maintenant que faire ? Eh bien, tout simplement ce qu’on appelle un banc d’essai, comparer la version de “The Long And Winding Road “présente sur “Let It Be”, avec celle de “Let It Be… Naked”.

Écoutons, tout d’abord, la version produite par Spector en mars 1970, c’est-à-dire à un moment où plus personne ─ sauf Harrison, semble-t-il ─ ne s’intéressait à ces bandes.

TLAWR est une très belle et délicate mélodie, chantée par son créateur, Paul, lequel s’accompagne au piano. Il n’y avait, en cette fin janvier 1969, que deux Beatles dans le studio** : Paul, bien sûr, et John Lennon, et c’est donc ce dernier qui tient la basse. Je vous demande d’écouter attentivement la piste de basse ; en dépit du respect et de l’admiration qu’on peut avoir pour John, cette ligne de basse est médiocre, et parfois fausse. On voit où en étaient les deux ex-amis ! Et la présence permanente de Yoko Ono n’arrangeait pas les choses !

Écoutez maintenant la voix de Paul : au-delà de la splendide mélodie, il faut bien avouer que McCartney a déjà mieux chanté, techniquement parlant. Normal ! Spector a utilisé l’une des premières prises vocales***.

Et puis, il faut digérer la boursouflure spectorienne ; des cordes ! des choeurs ! une harpe ! De l’écho, partout ! On est au niveau d’une bande originale d’un dessin animé de Walt Disney, avec une batterie anecdotique de Ringo Starr.

Passons maintenant à la version remixée et remasterisée de “Let It Be…Naked” pour laquelle Paul a fait appel à des ingénieurs du son talentueux (Paul Hicks, Guy Massey, Allan Rouse). Le son est bien mieux défini, une prise chant plus tardive a été utilisée (ce qui fait que les paroles sont très légèrement différentes) et est objectivement bien meilleure, la basse est différente (ouf !), Billy Preston apporte son savoir-faire aux claviers, et surtout, tous les ajouts de Phil Spector ont été éliminés.

En résumé, je pense que Paul a eu mille fois raison de “dé-spectoriser” ces sessions et de leur redonner cette simplicité qui était, il faut le rappeler au cœur du projet “Get Back”****. Un conseil : quand vous voulez écouter l’album “Let It Be”, posez sur votre platine “Let It Be…Naked” !

 

PAS DE VIDEO DISPONIBLE

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*Quoique “Abbey Road”, sorti l’année précédente, ait été enregistré après “Let It Be”.

**les Beatles venaient de quitter les studios de Twickenham pour se replier dans leurs studios Apple, lesquels étaient un désastre absolu, construits par un escroc de leur entourage !

*** Il y eut, sauf erreur, 19 prises, les 26 et 31 janvier, pour ces séances dirigées par George Martin, assisté de Glyn Johns.

****Et je ne parle même pas de la version de “Let It Be” qui clôt “Let It Be…Naked” et qui écrase la version “originale” !

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