Grace*(1994) est donc le seul album de Jeff Buckley, paru avant sa mort accidentelle, le 29 mai 1997.

Après la sortie de Grace, et le succès grandissant du disque**, Jeff et ses musiciens (Mick Grondahl à la basse, Matt Johnson à la batterie et Michael Tighe à la guitare) entament une tournée ininterrompue, qui va durer 2 ans. À l’issue de celle-ci, tout le monde est épuisé, au point que Matt Johnson quitte le groupe. Quant à Jeff, il n’a pas écrit une seule nouvelle chanson, alors que la maison de disques réclame un deuxième album, ne serait-ce que pour éponger les dettes.

Quoi qu’il en soit, le départ de Matt met un point final aux tournées et un nouvel album est prévu avec Tom Verlaine (guitariste de Television) à la production. Un batteur, Eric Eidel est recruté, et Jeff décide que le prochain album s’appellera My Sweetheart The Drunk.

Mais les sessions d’enregistrement à New York sont un échec. Eric Eidel ne donne pas satisfaction à Jeff, qui, de toutes façons n’est jamais satisfait, et à l’automne 1996, Buckley se sépare d’Eidel. Cette situation déprime fortement Jeff qui abuse d’alcool et de toxiques divers, jusqu’à ce que, au début de 1997, on trouve un nouveau batteur, Parker Kindred.

Il y aura une session d’enregistrement, en février, avec Michael Clouse aux manettes et à la production, puis, à la fin du mois, tout le monde part à Memphis (Tenn), mais, là encore, les résultats sont peu concluants, surtout du fait du perfectionnisme de Jeff, ce qui crée des tensions avec Tom Verlaine. Jeff et Tom restent seuls à Memphis, pendant que le reste du groupe repart à New York.

Le 22 mai, Jeff téléphone à Michael Tighe, lui disant qu’il se sent beaucoup mieux, qu’il a écrit plusieurs nouvelles chansons, et qu’il est certain que l’album va maintenant pouvoir se faire rapidement. Le 29 mai, les trois musiciens prennent l’avion pour revenir à Memphis, et c’est presque à l’instant où ils atterrissent que Jeff Buckley, qui était allé se promener sur les berges de la Wolf River, un affluent boueux du Mississippi, en compagnie d’un ami, décide de se baigner tout habillé. Son corps sera retrouvé 6 jours plus tard.

C’est un an plus tard que sortira Sketches For My Sweetheart The Drunk, brouillon de l’album prévu par Jeff Buckley et qui compile le résultat des séances de New York et de Memphis ainsi que des maquettes réalisées par Jeff, le tout mixé par Andy Wallace, sous la haute supervision de Mary Guibert, la mère de Jeff.

Ainsi “Vancouver” qui est une chanson que je trouve assez aboutie est née lors des sessions new-yorkaises, avec Eric Eidel à la batterie.

On retrouve le goût de Jeff pour des compositions un peu éparpillées, qui ressemblent plus à ces longues improvisations qui faisaient l’ordinaire de ses concerts. Il ne faut pas oublier que Jeff Buckley est un homme qui a peu écrit de chansons, une grande partie des disques publiés de son vivant ─ Grace et les singles ou EP’s publiés à cette époque ─ sont constitués de reprises ou d’adaptations (la plus célèbre étant “Hallelujah”) et c’est sans doute ce qui explique que la gestation de son deuxième album ait été si longue, et, en fin de compte si peu fructueuse. Mais Jeff Buckley avait toute la vie devant lui, et il serait devenu un auteur-compositeur renommé. Le destin en a décidé autrement et Jeff Buckley était seulement l’un des plus grands interprètes, peut-être le plus grand chanteur que le rock ait connu.

*Voir mes chroniques “Hallelujah” et “Last Goodbye”.

**N’exagérons rien. Grace n’a eu qu’un faible retentissement aux USA ; le succès européen a été plus conséquent, mais jusqu’à fin 1995, ça n’a pas dépassé les 750 000 exemplaires dans le monde.

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