Un disque-monde. Quelque chose qui n’a pas d’équivalent dans toute la pop music. Une œuvre qui a eu une influence très importante sur une grande partie de la pop anglaise, après 1991, mais qui, en même temps n’a pas eu de continuation, à proprement parler. Vous comprenez, là encore, que je parle non pas d’une chanson, mais de “Loveless”, le second album de My Bloody Valentine, mais je devrais plutôt dire la création de Kevin Shields, guitariste et chanteur de MBV. En effet, Debbie Googe, la bassiste n’a jamais pénétré dans le studio, non plus que Colm Ó Ciosŏig, le batteur, qui n’a fait que livrer des samples de batterie (sauf pour 1 morceau). Quant à Bilinda Butcher, censée être la 2ème guitare, elle s’est contentée d’apparaître en studio quand il lui a fallu chanter.

Shields, donc, avec son perfectionnisme, ou plutôt avec cette idée d’une musique qui devait être exactement celle qu’il avait décidé. Et personne ne comprenait ce qu’il voulait. D’où deux ans passés sur ce “Loveless”, Creation Records en faillite, 19 ingénieurs et assistants usés (c’est le mot), 19 studios d’enregistrement différents. Un cauchemar. Ou un rêve. Car je m’aperçois que, dès que j’écris quelque chose sur “Loveless”, j’ai l’impression que je pourrais écrire le contraire. Et les deux choses opposées seraient vraies, l’une et l’autre. Cette chronique est une suite de contradictions.

Alors, approchons-nous du cratère de ce volcan qu’est “I Only Said”, et contemplons ce qui s’y passe ; cette musique ne s’écoute pas, elle se voit. Car si on essaye de l’écouter, on va juste entendre un BRUIT. Il faut la regarder comme une lave en fusion qui s’écoule doucement en brûlant tout sur son passage, un magma sonore d’une puissance, d’une beauté, d’une détermination totales.

Ce qu’on voit ce sont les Fender Jazzmaster et Jaguar de Kevin, et leurs tiges de vibrato martyrisées ; dans le lointain, il y a une basse, les boucles de batterie, la voix fatiguée de Bilinda, paroles incompréhensibles, mais tout ça n’est pas très important, et se noie dans le bruit. Et ce qu’il y a de vraiment extraordinaire c’est que de cette éruption naît une mélodie d’une douceur et d’une mélancolie inouïes. Surtout, n’essayez pas d’écouter cette mélodie ! Laissez-là se fondre dans ce bruit si apaisant, dans cette fumée de distorsions où plus rien n’est reconnaissable, dans cette confusion si pure et fascinante. Laissez la lave se répandre…

Et, comme à mon habitude, en écrivant ce qui précède, j’écoute en boucle “I Only Said” (et tout l’album, par la même occasion), et c’est une musique qui pourrait ne jamais s’arrêter ; il n’y a pas de commencement, ni de fin, et je n’en suis jamais rassasié. Elle est d’une puissance terrifiante, mais n’est jamais fatigante.

Les amateurs d’un certain type de musique qui mêle les phrasés du jazz, et une instrumentation héritée du rock ont un mot pour désigner ce style : la “fusion”.

Je suis désolé, mais la seule musique qui mérite le nom de fusion, c’est celle de My Bloody Valentine.                                             

Print Friendly, PDF & Email