Débarrassé de ses Odeurs, Ramon Pipin va resserrer le propos ainsi que le nombre de ses collaborateurs, et c’est avec une nouvelle équipe qu’il publie en 1985, son premier album solo, “Nous Sommes Tous Frères”, lequel bénéficie de la collaboration de musiciens de grande qualité (dont John Mc Laughlin, sur un titre) : Jean-Michel Kajdan, Hervé Lavandier, Steve Shehan, Jean-Pierre Debarbat, Michel Deneuve aux structures sonores Baschet et Ramon lui-même, sans oublier les paroliers, Pipin, bien sûr, Yves Hirschfeld, qui se taille la part du lion, Laurent Baffie, Hugues de Courson et Henri Steinmen.

La chanson éponyme, “Nous Sommes Tous Frères”*, est la seule, sur cet album, pour laquelle Pipin fait appel à son partenaire d’Au Bonheur Des Dames et d’Odeurs, Costric, et elle prend, de ce fait, un relief assez particulier.

En effet, lorsqu’on écoute attentivement cet album, dont il faut saluer la grande qualité musicale, et dont on peut déplorer que l’accueil public n’ait pas été à la hauteur, on note, même si les auteurs sont divers, que l’humour en est d’une tonalité légèrement différente de ce à quoi Ramon Pipin nous avait habitué précédemment, dans les différentes incarnations d’Odeurs, comme si Pipin cherchait, mais sans abandonner ses options fondamentales d’humour, de parodie, voire de gaudriole, une certaine respectabilité**.

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Par ailleurs, dans la plupart des chansons de NSTF, on retrouve le goût de Pipin pour un humour qui mêle à la fois des situations étonnantes, incongrues, voire scabreuses, une utilisation très recherchée du second degré, et un travail sur les mots, à base d’allitérations, de calembours, hérité, entre autres, de Boby Lapointe***.

Cependant, un seul auteur, dans l’histoire musicale de Ramon Pipin, savait convoquer la catégorie de l’absurde : Costric.

Et c’est justement cette précieuse qualité qui fait tout le prix de cette chanson, “Nous Sommes Tous Frères”, dans laquelle Costric rappelle que la fraternité ne se nourrit que des différences, voire des oppositions ; mais il le fait sans aucun prêchi-prêcha, en restant soigneusement à distance des exhortations, et en se contentant d’asséner des évidences dont l’énumération fait ressortir l’absurdité. Du même coup, il dynamite, de l’intérieur, le propos humaniste du titre, et aboutit ainsi**** à cette idée que la fraternité, elle-même, est une absurdité. Pour les amateurs de tropes, ce titre est la plus belle antiphrase de toute la pop-musique française.

Ce texte d’une force et d’une pertinence incroyables est servi par une musique qui est l’une des grandes réussites de Ramon Pipin, dominée par les claviers et la batterie électronique, sans oublier, pour la première fois en France, l’utilisation d’un sampler Emu II ; le tout, autour d’une ossature assurée par une ligne de basse très simple et obstinée. Les chœurs dramatisent et amplifient le propos, d’autant qu’ils ont été enregistrés dans une église ; les effets sonores, typiques des années 80, mais qui ont fait si mal vieillir nombre de productions de cette époque, s’intègrent tellement bien au style même de la chanson, que je l’écoute aujourd’hui avec le même plaisir qu’il y a 31 ans.

*Notons ici que Ramon Pipin nous donne, en septembre 2016, une nouvelle version de “Nous Sommes Tous Frères” sur l’album “Comment éclairer Votre Intérieur“, et j’ai l’intention de revenir, dans un proche avenir, sur cette version récente et quelque peu différente…

**et je n’écris pas ça simplement parce que Ramon, sur la pochette de son album, porte le costume cravate avec une rare élégance !

***écoutez, par exemple, “Week-End Au Couvent” et “J’te Boufferais Tellement Que J’taime“.

****mais tous les auditeurs en ont-ils eu conscience ?

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