Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas eu de nouvelles de Ramon Pipin, en fait depuis son album de reprises, Ready, Steady, Go (1992). Vingt-quatre ans ! Excusez du peu !

L’annonce de quelques concerts, fin septembre, au Café de la Danse, précédant la sortie de l’album, intitulé Comment Éclairer Votre Intérieur, avait aiguisé ma curiosité, et j’avais été impressionné par la compétence du nouveau Ramon Pipin Band, et par la qualité d’un certain nombre de ses nouvelles chansons.

Je retrouve donc la plupart de celles-ci sur l’album en question, lequel se termine par cette chanson, l’une des meilleures, “C’est Mon Dernier Concert”.

Mes lecteurs et lectrices les plus fidèles se souviennent que j’avais déjà, dans ce blog, accordé une certaine attention à Ramon Pipin, et, qu’en particulier dans une des chansons de Nous Sommes Tous Frères, j’avais mis en exergue ce fait que son humour reposait sur une utilisation du langage qui entretient avec brio une ambiguïté, voire une indistinction entre un discours manifeste qui affirme un certain état de fait, et un discours latent, une sorte de sous-texte, qui porte l’affirmation strictement inverse.

“C’est Mon Dernier Concert”, dont les paroles ont été écrites par Ramon avec une petite participation de Yves Hirschfeld, joue de ce registre-là.

Le discours manifeste est celui d’un musicien vieilli et fatigué, plutôt soulagé d’annoncer son « dernier concert », et de se consacrer à une retraite bien méritée. Mais l’autre discours affleure très vite : il s’agit de plier ses affaires, ce qui, vous l’avouerez n’est pas une occupation passionnante. Dès le couplet qui suit, dans lequel l’auteur décrit la réalité de la vie d’un musicien, dans ce qu’elle peut avoir de plus trivial, on se dit qu’il va avoir des choses bien plus passionnantes à faire, alors que tombe comme une enclume le verbe « s’étioler », c’est-à-dire perdre sa force vitale, comme une plante que l’on n’expose pas au soleil ! Malgré, ou à cause de ses mots croisés, dans son canapé, c’est la mort qui guette Ramon Pipin, et rien d’autre ! Contrairement à beaucoup de nos contemporains, qui attendent la retraite comme une délivrance, il nous hurle que tout vaut mieux que ce repos bien mérité.

Dans le couplet suivant, il commence par nous décrire la pauvreté de sa vie amoureuse, et on se dit qu’il va mettre à profit son temps libre pour tenter de construire une relation plus satisfaisante. Vous n’y pensez pas ! Il s’agit simplement de tailler ses bonsaïs ! Et là, tombe le second verbe, écrasant : « dépérir ».

Et la fin de la chanson s’impose d’une façon glaçante : « Y’a un temps pour chanter, un autre pour se taire… » Ce temps pour se taire n’est pas un temps choisi, espéré, attendu impatiemment ; ce n’est pas le temps du repos, c’est le temps de la mort, celui qui s’impose et dont on n’a pas envie, quand bien même cette vie n’offre pas que des moments inoubliables.

La musique est, bien entendu, là pour nous dire quelque chose également. Et d’abord, avec l’instrumentation, parfaitement choisie par Vince Turquoiz. Deux, et seulement deux chansons de ce disque, bénéficient de l’apport d’un instrument dont la seule évocation nous renvoie aux bienheureuses années 60 du siècle dernier, je parle, bien entendu, du Mellotron, confié à Vincent “Turquoiz” Chavagnac. Le propos de l’autre chanson est la décrépitude, et je ne m’y attarderais pas, mais en tout cas, le Mellotron, qui apparaît dans la strophe finale, nous dit simplement : « Qu’est-ce que c’était bien, il y a 50 ans ! Qu’est-ce que ce serait bon d’y être à nouveau !» On note également la présence d’un orgue Hammond (Cyril Barbessol) ce qui ne nous rajeunit pas non plus ! Quant au son des guitares électriques, outre qu’il nous indique que Ramon Pipin écoute et apprécie Andy Partridge (XTC), ce qui vient conforter sa réputation d’homme de goût, il possède un petit côté “vintage” qui continue à cultiver une nostalgie que les mots ne convoquent pourtant jamais.

Il faut rendre hommage aux musiciens qui accompagnent Pipin, car il n’a jamais eu autour de lui un groupe à ce point homogène et talentueux. Stéphane Daireaux (guitare électrique), Pierre Sangra (mandoline, dulcimer, guitare électrique 12-cordes), Franck Amand (batterie), Marc Périer (basse), ceux que j’ai cités ci-dessus et les choristes dont vous pourrez retrouver les noms dans le livret qui accompagne le disque.

Mais il faut une conclusion à cette chronique, et elle prendra la forme d’un conseil, voire d’une exhortation : cher Ramon Pipin, je sais qu’il vous arrive de me lire ; eh bien, relisez-vous également, et voyez à quel point la perspective de jouer votre « dernier concert » vous effraie et vous déprime ; aucun soulagement, ni aucune joie dans cette évocation de l’après.

Il ne vous reste plus qu’à continuer jusqu’à votre dernier souffle, afin que l’une des rares voix originales dans le paysage de la musique d’expression française ne nous laisse pas face au vide et au silence. D’avance, merci.

*Voir mes chroniques de “L’Amour” (Odeurs), “Nous Sommes Tous Frères” et “Toute La Misère Du Monde“.

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