Pas d’illusion à se faire. Si les Czars ont nommé ainsi ce troisième et dernier album*, produit par Colin Bricker, c’est qu’ils savaient que c’était râpé. Chant du cygne d’un groupe scandaleusement ignoré, c’est un album sublime, crépusculaire, résigné, porté par la voix de miel et de douleur de John Grant.

C’est un album intemporel, nullement porté par la mode ou l’air du temps, mais répondant simplement à l’élégance souveraine de ces musiciens, se promenant sans vergogne dans tous les styles qui font la musique de ce siècle. “Little Pink House”, qui est le sujet de cette chronique est, par exemple, une chanson de cabaret, infiltrée de jazz, de fumée de cigarette et de lascivité. John introduit la chanson sur son piano, la lumière devient rouge, sa voix de crooner suprême envahit l’espace, la guitare d’Andy Monley nous installe dans le cabaret et annonce Julie Monley, qu’on imagine vêtue d’un fourreau moulant. John revient et la trompette de Ron Miles nous transporte dans les années 40. John et Julie nous font le grand jeu de la séduction, et la chanson se ferme avec le piano de John. C’est là que l’on comprend que les Czars ne cherchent jamais à recréer l’ambiance d’un cabaret, car, après tout, l’instrumentation, la production sont résolument ancrées dans le rock, mais ils fabriquent tels des prestidigitateurs, une illusion de cabaret, aussi brillante qu’éphémère, à laquelle on croit, et qui s’évapore comme elle est venue, nous laissant émerveillés devant cette incomparable maîtrise.

Cela dit, en écrivant cette chronique, j’écoute, bien sûr, tout Goodbye, et, tout en me disant que c’est encore bien mieux que dans mon souvenir, je crois que je comprends un peu pourquoi ça n’a eu aucun succès aux USA, et assez peu en Europe : les amateurs de rock aiment bien mettre leurs disques dans des petites cases, en fonction du style, des influences, des réminiscences avec tel ou tel groupe du passé… Impossible de faire ça avec Goodbye, qui ne se laisse enfermer dans aucune case. Comment pourriez-vous enfermer dans une case l’infinité de bulles de savon scintillantes dont Goodbye est constitué ? Goodbye n’occupe pas un territoire, mais un espace indéfini, aérien et mobile qui nous confronte vite à une étrangeté dont on sait qu’elle prélude à l’inquiétude. Tout le monde ne se sent pas à l’aise avec ce genre de choses, mais c’est ce qui fait que j’aime encore plus Goodbye que je ne le pensais.

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*Il y aura encore un album de faces B et reprises, le merveilleux et tout aussi indispensable Sorry I Made You Cry. Voir mes chroniques de “X Would Rather Listen To Y”, “Side Effect”, “Drug” et “Any Younger”.

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