Depuis le 21 novembre 1970, jour de ma première rencontre avec Magma sur la scène de la Taverne de l’Olympia, je fais partie du peuple kobaïen.

Tout en écrivant cette chronique, j’ai programmé sur mon ordinateur une liste de lecture qui rassemble quelques versions de MDK. Il y en a pour environ 4 heures d’écoute continue, mais je suis loin d’être exhaustif, car MDK est peut-être l’œuvre de Magma qui a été la plus jouée en public, depuis le concert de 1971 au théâtre 140 de Bruxelles (AKT VIII), et depuis le premier enregistrement studio de 1972 que l’on trouve sur le cd Simples (REX II), jusqu’aux versions les plus récentes des années 2000. Cependant, la version de “référence” est celle de l’album de décembre 1973, Mekanïk Destruktïw Kömmandöh (REX VII), le troisième album de Magma, dont je me dois de citer les musiciens :

Christian Vander ; batterie, voix, orgue, percussion.

Jannik Top ; basse.

Klaus Blasquiz ; voix principale, percussion.

Jean-Luc Manderlier ; piano, orgue.

René Garber ; voix, clarinette basse.

Claude Olmos ; guitare.

Stella Vander ; chœurs, avec Muriel Streisfeld, Évelyne Razymovski, Michèle Saulnier, Doris Reihnardt.

Teddy Lasry ; cuivres, flûte. (ne joue pas sur ce disque)

Très brièvement, car les différents livrets que l’on trouve dans les albums racontent quelque chose d’un peu plus compliqué, MDK narre l’histoire du prophète Nebehr Güdahtt, qui prévient les peuples de la Terre qu’ils courent tout droit à l’anéantissement, à cause de leur violence, de leur mépris des ressources terrestres. Les sages, les méritants, les humbles, les pacifiques, seront recueillis par la soucoupe géante Weidorje, pour être transportés sur Kobaïa.

Tout cela est chanté en kobaïen, le langage inventé par Christian Vander, et on apprendra, plus tard, que MDK n’est que le troisième volet d’une trilogie, Theusz Hamtaahk.

Et la musique ? Grandiose, martiale, quelque chose d’unique dans l’infini éventail de styles offert par la musique moderne, au point qu’il a fallu la désigner d’un mot nouveau, la Zeuhl, dans laquelle se retrouvent d’ailleurs ce que Christian Vander désigne comme étant ses trois influences principales, Otis Redding, Igor Stravinsky, et surtout John Coltrane. Ne croyez pas, cependant, que nous soyons en présence d’une musique “compliquée”; Vander exploite des accords fondamentaux, répétés d’une façon obsessive, et, batteur de jazz, travaille essentiellement en rythmes binaires, de façon à ce que se rencontrent le rhythm’n’ blues et la musique classique de Bartók et de Stravinsky. Quant à Coltrane, l’influence majeure, elle l’est par la recherche constante d’une musique qui soit à la fois dépouillée, nouvelle et grande. C’est par Coltrane, et à travers lui, que Christian a tourné, et depuis l’origine, le dos à toute forme de médiocrité, s’attirant de ce fait la haine des médiocres.

Il faut également remarquer qu’avec MDK, Magma donne une importance nouvelle ─ corollaire de l’effacement des instruments à vent ─ aux chœurs, en particulier féminins, avec l’arrivée de Stella Vander dans le groupe.

Toutefois, mon propos, aujourd’hui n’est pas tellement de me livrer à une étude de la musique de Magma, mais plutôt de tenter de vous guider à travers les différentes versions de MDK que l’on trouve sur disques.

J’ai, en effet, en nommant “de référence” la version en studio de 1973, omis de vous dire que ce n’est probablement pas cette version*qui vous permettra d’approcher au plus près de la grandeur et de la beauté de cette œuvre unique. L’enregistrement manque cruellement de dynamique, et ne retransmet pas la puissance de la musique. Il est, à mon avis, préférable de recevoir la musique de Magma telle qu’elle jaillit du cratère, vivante, sur scène.

C’est ainsi que, pour vous, j’ai fini par réécouter bien plus que ces 4 heures de musique dont je vous parlais, et que mon ambition a été de juger toutes les versions discographiques de “Mekanïk Destruktïw Kommandöh” dont je dispose** !

Voilà une tâche quasiment impossible, car Magma n’a jamais commis de disque médiocre. Certains sont peut-être imparfaits ou, s’agissant d’enregistrements en public, ne bénéficient pas d’un son à la hauteur, mais, quoi qu’il en soit, ce sont tous des disques essentiels.

Il y a, tout d’abord, un enregistrement de janvier 1973, Mekanik Kommandoh, (AKT X) c’est-à-dire antérieur à l’enregistrement princeps. Il n’est pas à négliger, dominé par le chant de Christian Vander, et surtout, accompagné par les chœurs de la Storchhaus. Assez acoustique, il peut-être réévalué grâce au travail de remastérisation de Seventh Records qui lui confère un son de très bonne qualité.

Il y a la découverte récente du concert enregistré à la radio de Brême le 6 février 1974. Le mixage met en avant la très belle prestation de Klaus Blasquiz, alors que la batterie de Christian est un peu en retrait. Les musiciens, outre Christian Vander et Klaus sont Jannick Top à la basse, Michel Grailler et Gérard Bikialo aux claviers, et le très rare Claude Olmos à la guitare, puisqu’il ne fit qu’un bref passage chez Magma.

Il y a l’excellent concert de Bourges du 17 avril 1979 (AKT XV) qui rassemble Christian, Klaus, Stella, René “Stündëhr” Garber au chant et saxophones, Michel et André Hervé, respectivement à la basse et aux claviers, Jean-Luc Chevalier à la guitare, ainsi que Maria Popkiewicz et Lisa Deluxe aux chœurs.

Il y a un enregistrement de 2005, enregistré au Club Quattro de Tokyo dû, non pas à Magma, mais aux “Voix de Magma”. Christian Vander, Stella Vander, Isabelle Feuillebois, Antoine et Himiko Paganotti chantent, seulement accompagnés par le piano d’Emmanuel Borghi. Très beau.

Il faut bien un podium, et il sera, par définition, subjectif, mais sur la troisième marche, je mettrais le 2ème album de la série Retrospektiw, qui documente les concerts de Magma à l’Olympia du 9 au 11 juin 1980. C’est ainsi que l’on vit Klaus reprendre sa place de chanteur pour interpréter MDK en compagnie de Stella, bien entourée aux chœurs par Liza Deluxe, Claire Laborde et Maria Popkiewicz. Les claviers étaient entre les mains de Benoît Widemann et Patrick Gauthier, et la basse entre celles, imposantes, de Bernard Paganotti. Il y avait également le violon de Didier Lockwood.

La deuxième marche appartiendra au Magma du XXIème siècle, celui des concerts du Trianon des 13 et 14 mai 2000, réunis dans le magnifique coffret qui, enfin, présente dans son intégralité la fameuse trilogie de Christian Vander, Theusz Hamtaahk. C’est Magma, tel qu’en lui-même, avec Christian Vander, avec Stella Vander, mais c’est Magma avec son sang neuf***, Emmanuel Borgui au piano Rhodes, Philippe Bussonnet à la basse, James Mc Gaw à la guitare, et les chanteurs, dont la liste s’allonge : Isabelle Feuillebois, Claude Lamamy, Antoine Paganotti, Jean-Christophe Gamet, Julie Vander. C’est Magma, qui malgré les années, est toujours à l’avant-garde, en jouant une musique qui n’a pas d’âge.

Mais la médaille d’or, enfin, la mienne, je la décerne au premier album en public de Magma, celui enregistré dans les premiers jours de juin 1975 à la Taverne de l’Olympia,**** le disque que je connais sous le nom de Hhaï  (REX X) avec une autre “dream-team” kobaïenne, Christian et Stella, bien sûr, Klaus, évidemment, Benoît Widemann et Jean-Pol Asseline aux claviers, Gabriel Federow à la guitare, Bernard Paganotti à la basse, et un tout jeune Didier Lockwood qui accomplit des prodiges sur son violon.

Presque à égalité avec le précédent, voilà les deux disques qu’il faut avoir si vous voulez entendre la musique la plus intransigeante, la plus droite, la plus honnête, la plus indispensable qui existe. Mais je dis des bêtises : de Magma, il faut TOUT connaître !

__________________________________________________________________

*Peut-être parce que j’en dispose sur une édition cd  Seventh de 1988 ? il doit exister des éditions cd ou vinyles plus récentes qui rendent mieux justice à cet enregistrement.

**Il m’en manque quelques-unes, par exemple celle du Théâtre de Taur en 1975, mais ne craignez rien, j’ai les plus importantes.

***À peu près 150 musiciens sont passés dans Magma, depuis l’origine…

****Et je ne dis pas ça parce que j’étais présent à ce concert…

Print Friendly, PDF & Email