Défendre The Missing Piece, neuvième album studio de Gentle Giant est une tâche difficile. Mais si nous étions encore en 1977, ce serait quasiment impossible. Même si, à cette époque, Derek Shulman avait accroché une épingle à nourrice en or à sa chemise, il était, à ce niveau-là, moins crédible que le Clash ou les Sex Pistols. Je ne dirais certainement pas que le punk avait balayé le rock progressif, comme on l’entend parfois, mais il est vrai que les nouvelles conditions socio-économiques et politiques ne favorisaient plus la musique des “Trente Glorieuses”, et que l’âpreté du temps appelait un son plus brutal, plus “pauvre”, plus en phase avec ce que l’on commençait à désigner comme la “jungle urbaine”. Peace and Love était mort ; No Future était le mot d’ordre.

Gentle Giant avait remarqué qu’un groupe surnageait dans la tempête : Genesis. C’était, bien évidemment, au prix d’une simplification de son propos, en particulier après le départ de Peter Gabriel, mais la démarche n’avait pas échappé à nos amis.

Voilà pourquoi The Missing Piece est un album dans lequel la luxuriance de l’instrumentation et des arrangements n’est plus à l’ordre du jour ; quarante ans plus tard, nous pouvons nous permettre de le déplorer, mais en 1977, il fallait survivre. Le disque est donc assez rock ou pop (écoutez “Betcha Thought We Couldn’t Do It” !), surtout dans sa première partie, et ce n’est que dans la seconde partie que l’on retrouve un Gentle Giant plus traditionnel, quoique simplifié. Simplification qui n’empêche pas une qualité d’écriture inaltérée comme nous le prouve ce “Memories Of Old Days”.

L’orgue Hammond de Kerry introduit les guitares acoustiques de Gary Green, ainsi que la 12-cordes de Ray Shulman, avant l’exposition du thème par le synthétiseur ; toute cette introduction instrumentale occupe tout de même le premier tiers de cette chanson de 7 mn et 20 s. Puis Derek commence son chant, avec une profondeur émotionnelle qu’il avait rarement atteinte  jusque là, en même temps que rentre la basse de Ray, avec ce texte auquel je vous conseille de vous reporter, et qui idéalise le temps passé, le temps de l’enfance, d’une façon très touchante. La chanson est bien plus complexe qu’il n’y paraît, car ayant évoqué la simplification recherchée par Gentle Giant, il faut pourtant noter que l’instrumentation s’enrichit au fur et à mesure, même si le morceau ne comporte pas de batterie.

Je voudrais encore insister, avant de conclure sur la beauté de ce “Memories Of Old Days”, peut-être l’une des dix plus belles chansons de Gentle Giant. Ce n’est pas parce que The Missing Piece est mal-aimé, considéré comme un album mineur, ou pire, un album annonçant la régression et la mort de ce groupe unique dans toute l’histoire de la musique du XXème siècle, qu’il faut en conclure qu’il n’est pas digne d’être écouté. Même quand Gentle Giant fait de la pop toute simple et non plus, comme précédemment, sa musique progressive où se déploie une science de la fugue et du contrepoint, jamais portée aussi haut dans ce domaine musical, ces cinq musiciens continuent à planer largement au-dessus de leurs contemporains.

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